Pensées numériques (6)

Il est temps de fonder une "discipline" dédiée à la réflexion sur les phénomènes numériques et leurs incidences sociologiques, pédagogiques, culturelles, etc.

 

 

La photo et son revers : le coût encore inestimable d’un attrait éphémère.

 

Les réseaux sociaux ont été à l’origine de pratiques nouvelles qui ont parfois bouleversé le système de pensée, les positions, les convictions, les traditions, etc. dont certains ont été considérés comme des principes constants intouchables et comme des fondements socioculturels indiscutables.

Il y a peu de temps, la publication d’une photo d’un membre de la famille (même photo portrait) était perçue comme une atteinte à l’honneur de la famille, parfois de la cité ou du pays.

Il y a peu de temps, la tentative d’une personne de jeter un regard, discret ou indiscret, volontaire ou involontaire, sur un membre de la famille ou sur un espace « intime » du domicile familial était classée comme un acte de voyeurisme et d’incivilité.

Il y a peu de temps, la personne qui le faisait était qualifiée d’exhibitionniste, de mal éduquée et de libertine.

Il y a peu de temps, un compliment destiné à louer une qualité physique d’un membre de la famille était considéré comme une violation à la dignité familiale et comme une atteinte aux mœurs, surtout quand ce compliment est déclaré par le sexe opposé.

Il y a peu de temps, l’étalage des intimités du foyer (chambre à coucher, table à manger familiale, etc.) était vu comme un acte condamnable et déplacé, etc.

Les réseaux sociaux ont tout chamboulé, lentement, softly, tendrement, doucement, … sans aucune réaction, ni résistance. Les usagers, au contraire, semblent fascinés, charmés, ensorcelés ; tout ce qui était perçu comme blasphématoire et diffamatoire serait devenu, au contraire, un signe du génie du temps, une marque de modernité, un comportement de civilité et une condition d’être  à la page, de vivre son époque.

On publie ses photos, actuelles ou anciennes, authentiques ou retouchées, celle de ses enfants, y compris les nouveau-nés, de ses parents, de ses collègues, de ses amis, des coins et des recoins de son domicile, etc. avec parfois un engouement et une satisfaction exemplaires.

On est content de recevoir des compliments, on réagit avec joie aux comentaires valorisants sur la "beauté", "l"élégance", "l'allure"; on ressent  beaucoup de fierté et de gloire "d'entendre" des louanges à propos du décor intérieur de la maison, de la disposition du mobilier, des couleurs des murs de la chambre à coucher, , etc.

Les gens sont libres de choisir la façon de gérer leurs identités (personnelles, familiales ou collectives) sur les réseaux sociaux. Mais, qu’est-ce qui a changé ? Et surtout en si peu de temps ?

La recherche scientifique, elle, surtout à travers la sociologie, la psychologie, l’éthologie, la psychosociologie, etc., tentera d’étudier les raisons qui ont provoqué ce revirement inopiné et cette métamorphose rapide, puis d’évaluer les dangers probables (psychologiques, sociaux, etc.) d’un tel phénomène avant de  modéliser et de catégoriser ces comportements et le nouveau système de pensée sous-jacent.

Ainsi, la réflexion sur les dangers possibles de ce phénomène, auxquels pourront être confrontés certains utilisateurs immédiatement ou à l’avenir, pourrait, dans l’état actuel des choses (le futur pourrait être encore plein de surprises qui ne seraient pas pourtant exclusivement mauvaises pour tout le monde), se résumer ainsi :

  1. Le risque de manipulation par des usagers de mauvaise intention : beaucoup d’exemples ont été repris par la presse ces dernières années (utilisation malsaine des photos, détournement des fonctions initiales des photos, etc.) ; il a été rapportée qu’ une maison d’une artiste a été volée à partir des photos de sa demeure qu’elle a publiées et partagées sur internet.
  2. Le risque d’une compromission professionnelle, sociale, politique, économique, etc. : certaines photos qui sont acceptées et acceptables avec les normes et les critères d’aujourd’hui ne le seraient pas forcément demain avec d’autres normes et d’autres critères ; on n’oubliera pas par exemple que les recruteurs aujourd’hui consultent de plus en plus les comptes et les pages des demandeurs d’emploi en vue de constituer une image sur leur profil.
  3. Le risque d’un préjudice moral et psychologique : on publie des photos de ses enfants ou de ses amis ou de ses élèves, parfois dans des positions particulières (sourire, grimace, habits spécifiques, etc.), bien sûr sans leur « consentement » ; on se demandera alors qui les protégerait contre les intimidations, les risées et les critiques  émanant de ceux qui se présentent comme des professionnels dans ces pratiques (pairs, camarades de classe, manipulateurs majeurs, personnes louches, etc.)
  4. Le risque de synthèses approximatives ou orientées de l’intelligence artificielle qui brosse des profils et des personnalités à partir de toutes les données publiées par et d’une personne
  5. Etc.

Ce phénomène numérique pourrait-il avoir les explications suivantes, qui sont, pour le moment, de simples tentatives d’hypothèses préalables à l’étude ?

  1. Recherche d’une légitimité  physique, physionomique ou physiologique en publiant des photos de soi, parfois relookées, transformées par des filtres (donc factices), ou des photos qui zooment sur une partie du visage ou du corps.
  2. Recherche d’une identité perdue en publiant des photos d’enfance, de jeunesse, etc.
  3. Recherche d’une gloire longtemps espérée insaisissable en publiant des photos liées à des évènements et à des cérémonies
  4. Recherche d’une reconnaissance exprimée par autrui en publiant des photos de sa famille, de ses enfants, de l’intérieur de sa maison, etc.
  5. Recherche d’une confirmation de soi à travers la sollicitation des compliments des autres
  6. Recherche d’une appartenance et d’intégration à une communauté qui partage les mêmes valeurs, les mêmes tendances, etc.
  7. Application stricte d'une préstréoka et d'une glasnost numériques
  8. Etc.

Ce phénomène s’inscrit dans une large problématique de l’utilisation de technologies numériques à savoir la gestion de ou des identités, de ou des profils sur la toile.

Aux enfants et aux élèves, adultes de demain où la technologie serait encore plus exigeante plus sophistiquée, plus risquée, faire apprendre les valeurs et les capacités de la retenue, de la positivité, du juste milieu, de l’évaluation des risques, de l’esprit critique,  de l’analyse, etc.

Date de dernière mise à jour : 05/06/2020

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