Pensées numériques (7)

 

Quand on ne maitrise pas les mécanismes de l'écart stylistique (figures de styles, non-dit, etc.),

bonjour les dégâts!

Parfois, sans s’en rendre compte, on utilise des expressions et des mots qui sont d’apparence anodins, inoffensifs et innocents, mais qui peuvent s’inscrire dans de grandes problématiques linguistiques, stylistiques et sociologiques et, partant, interpeller plusieurs domaines cognitifs..

L’origine de cette réflexion est un ensemble de publications sur les réseaux sociaux autour de certains usages ou codes sociaux et linguistiques, qui sont toujours en vigueur dans la vie quotidienne, mais qui sont assimilés, par ces publications, aux anciennes générations et  taxés, sous forme de jugements de valeur,  de passéisme et de sous-développement. L’exemple suivant est pris dans le tas : "ديت مولات الدار تشري شي حوايج" ( on reproche à cette expression le fait de ne pas nommer par son nom propre "molat dar", et d'être une expression sexiste qui traduit une forme tyrannique de masculinité )

L’utilisation massive des « réseaux sociaux », la facilité de participation, l’absence de normes de publication (culturelles, intellectuelles, …), en plus d’autres paramètres liés à la nature d’utilisation des nouvelles technologies, imprégnée de subjectivité, « de chaos créatif », « d’anarchie fondatrice » et d’individualisme outrancier, … ont vite mis à nu le niveau intellectuel, scolaire, culturel, cognitif de nombreux usagers du web. Ceux, du moins, qui veulent participer à tous les sujets, veulent enregistrer leurs positions dans tous les débats, veulent étaler leurs « savoirs » dans toutes les circonstances, … sans respect de la spécialité, ou, du moins, sans lectures complémentaires, sans vérification, etc.

Il est une tendance qui se popularise sur les réseaux sociaux et qui fascine par ses allures conflictuelles et générationnelles ; elle se présente sous forme du schéma suivant :

Un auteur initial, initié ou profane, prévoyant ou spontané, bienveillant ou malveillant, etc. publie un comportement social, relationnel des « anciens » (des exemples seront donnés  infra) qui était répandu dans la société de l’époque et qui ne suscitait pas de réactions particulières.

Un ensemble de commentateurs « modernes » mais aussi « anciens » se moquent du comportement, le condamnent parfois, le fustigent, etc. sans oublier, comme d’’habitude, d’assaisonner le tout d’une dose de sarcasme ou d’ironie populistes, roturiers et stéréotypés.

De temps en temps, interviennent certains pour modérer les réactions et neutraliser les tensions.

Un schéma qui se formalise et devient classique, pour ce type de sujets.

Ce type de publications révèle plusieurs vices intellectuels et méthodologiques majeurs :

  • Il incarne un jugement de valeur vis-à-vis d’une catégorie de gens, une sorte de binocles modernes pour observer une pratique ancienne ; le jugement de valeur, on le sait aussi, est aveugle, réducteur, hâtif, superficiel, etc.
  • Il écarte le contexte socioculturel et l’ancrage sociologique de l’usage d’un code linguistique donné
  • Il est formulé par monsieur Tout-le monde sans analyse, sans discernement
  • il oriente vers une lecture unique décontextualisée qui est généralement d’ordre idéologique
  • il n’interpelle pas les autres paramètres de la situation : idées et idéaux de l’époque, relations socioculturelles, visées du discours, etc.

Au-delà de son caractère caricatural, ce jugement peut cacher une ignorance et une méconnaissance des procédés de l’écart stylistique et de la dimension illocutoire des énoncés (voir les trois niveaux pragmatiques d’un énoncé : locutoire, illocutoire, perlocutoire), principalement de la tension entre dénotation/ connotation, des figures de style, des emplois imagés, du non-dit, etc.

Il faut préciser que cette formule n’est pas marquée idéologiquement dans l'absolu ; son emploi positif ou négatif n’est conditionné que par l’intention de communication et la visée du locuteur. Elle peut être une marque de respect comme elle peut être une position dégradante. Mais, avec le contexte socioculturel qui encadre généralement les positions et les conceptions des gens, l’on peut dire que, dans une société conservatrice, qu’elle soit traditionnelle ou moderne, les valeurs de retenue et de décence ont toujours imprégné les discours et les paroles : on taisait (on tait) le nom propre de son conjoint (sa femme ou son mari) ou de ses enfants par souci de convenance et de respect, on les appelle par leur filiation au père ou à la famille par respect au père et à la famille. Ceux qui l’utilisent par mauvaise intention ne méritent pas, pour autant, d’être cités.

Ainsi, ce type de parlers, qui traduit une valeur positive adoptée comme telle par la société (respect, retenue, décence, pudeur, etc.) peut alors prendre plusieurs formes stylistiques dans le langage quotidien des gens (il est encore d’usage à grande échelle) ; les plus répandues sont ; la périphrase et l’euphémisme.

  • périphrase : mol dar, moulat dar, bent si Ali, bent si Larbi, ould si brahim (les deux conjoints peuvent s’appeler de cette manière sans qu’il y ait mauvaise intention ; le respect ou non apparait généralement dans les actes (effet perlocutoire) ; (nombreux/nombreuses sont ceux/ celles qui dorlotent linguistiquement leurs femmes/maris le matin et les bastonnent le soir)
  • euphémisme : dar, rajli, mrati, (la tradition socioculturelle était ainsi ; elle n’est ni bonne ni mauvaise ; ce sont les actes consommés qui lui confèrent l’une ou l’autre caractéristique)

Moralité pédagogique et didactique :

Inculquer aux élèves :

  • l’importance du contexte socioculturel lors de l’apprentissage de la communication
  • l'importance des valeurs de la retenue, de la décence, du respect, etc.
  • l’importance de l’apprentissage des figures de styles dans leur relation avec le contexte, la visée et les actes
  • l’importance de la relativisation intellectuelle
  • l’importance de l’esprit critique et de l’esprit d’analyse

Date de dernière mise à jour : 22/06/2020

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