Extrait de "Chagrin d’école", de Daniel Pennac
nrf, Gallimard, 2007 (pp.186/187)
L'Education nationale paraît d'ailleurs structurée pour que chacun y puisse commodément désigner le sien (coupable) :
le professeur des écoles : "la maternelle ne leur a donc pas appris à se tenir ?"
le professeur de collège : "qu'ont-ils fichu en primaire ?"
le professeur de lycée : "quelqu'un peut me dire ce qu'ils ont appris jusqu'en troisième ?"
le professeur de fac : "ils viennent vraiment du lycée ?"
l'industriel : "expliquez-moi ce qu'on fout à l'université ?"
la recrue répond : "l'université forme exactement ce que souhaite votre système, des esclaves incultes et des clients aveugles ! Les grandes écoles formatent vos contremaîtres et vos actionnaires font tourner la planche à dividendes. "
le ministère de l'Education nationale : "démission de la famille"
la famille : "l'école n'est plus ce qu'elle était"
les républicains : "Honte aux pédagogues bêtifiants"
les pédagogues : "à bas les républicains élitistes"
les fonctionnaires : "les syndicats grippent la machine"
les syndicats : "nous restons vigilants"
la vieille garde : '’un tel pourcentage d'illettrés en sixième, ça ne se voyait pas de mon temps"
le taquin : "de votre temps le collège n'accueillait que des conseils d'administration en culotte courte"
le père : "tout le portrait de sa mère"
la mère : "si tu avais été un peu plus sévère"
l'adolescent déprimé : "comment travailler dans une telle atmosphère ?"
(…) Les professeurs se plaignent de n'avoir pas été formés pour "ça" : la mauvaise éducation des enfants par la famille défaillante, les dégâts culturels liés au chômage et à l'exclusion, la perte des valeurs civiques qui s'ensuit, la violence dans certains établissements, les disparités linguistiques, le retour du religieux, mais aussi la télévision, les jeux électroniques, … Il n'y a qu'un pas entre "pas été formés pour" et "pas là pour" : notre métier n'est pas de régler les problèmes de société qui font écran à la transmission du savoir. Qu'on nous adjoigne un nombre suffisant de surveillants, éducateurs, … mais pas de budget … (..) En fait les profs ne sont pas préparés à la collision entre le savoir et l'ignorance, voilà tout ! (…) votre première qualité devrait être l'aptitude à concevoir l'état de celui qui ignore ce que vous savez ! (…) aller à la pêche au cancre, c'est votre boulot!
(…) Il faut réussir pour comprendre (Piaget)
(…) L'état d'ignorance, ce n'est pas le grand trou noir que vous imaginez. C'est tout le contraire. Un marché aux puces où tu trouves tout et n'importe quoi sauf le désir d'apprendre ce que les profs t'enseignent. Je ne me trouvais pas ignorant, je me trouvais con, c'est très différent ! (…) Il n'est pas un élève de mathématiques, il est un nul en maths !
(…) Qu'est-ce qui manque à l'instruction ? L'amour. (…) Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer, point final.
Commentaires
1 professeure Le 18/04/2011
IL S'agit d'un excellent extrait qui reflète non sans un peu d 'humour noir les grandes inquiétudes qui ôtent le sommeil des fois a tout être prenant le temps de méditer sur la crise de l'enseignement .c'est le deuil !cependant il faut continuer à s'abattre à aimer ce métier qui nous épuise car même après la mort de qui que ce soit ou de quoi que ce soit .la vie continue .si l'enseignement est en agonie aujourd'hui c'est notre responsabilité à tous , sauvons le !il vaut mieux tard que jamais ...un très beau extrait ,ainsi nous demandons d'écrire la source exacte avec le numéro de la page et merci infiniment.